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Comme une évidence



C’est à ce moment-là que je la vis.

Paris était devenu tout d’un coup sombre et inquiétant. Le ciel d’un bleu éclatant avait laissé place à un amas de ton gris. Les grêlons et le vent s’étaient abattus sur les passants et promeneurs du jardin des Tuileries, ne laissant aucune chance à ceux qui n’avaient pas de quoi s’abriter.

Commença alors une valse à trois temps de démarches hâtives, de courses folles, de talons percutant le sol inondé à la recherche d’abri et au milieu de cette foule pressante, des escarpins rouges. Immobiles. Le corps recroquevillé sur lui-même, les cheveux trempés, la femme distingua au loin des arcades sous lesquelles se réfugier. Elle se précipita en évitant soigneusement les flaques d’eau et se retrouva avec un groupe de touristes sous les voutes bruyantes et ventées.

Elle chercha des yeux un endroit où se réchauffer lorsque son regard s’arrêta sur la devanture de ma boutique éclairée. Elle poussa la porte lentement. Je me tenais derrière mon comptoir, prêt à l’accueillir. J’avais bien senti qu’elle n’était pas rentrée à l’intérieur pour acheter mes produits, mais plutôt pour se réfugier avant d’affronter à nouveau le ciel. Elle me salua timidement et saisit son téléphone portable pour commander un taxi et me signifia d’une voix chantante qui sentait bon les cigales en été qu’il serait là d’ici une quinzaine de minutes. Nous échangeâmes quelques banalités et c’est ainsi que je sus qu’elle venait d’une petite ville de province et était de passage dans la Capitale encore pour quelques heures.

Puis elle sortit quelques instants pour scruter le ciel qui se dégageait petit à petit. Elle releva le col humide de son manteau. Elle n’avait pas pris soin de se vêtir plus chaudement visiblement. Après tout, nous étions au début du printemps et la fin de l’après-midi sonnait déjà.
De retour dans la boutique, elle me remercia de l’avoir hébergée quelques instants. Elle sourit et s’engouffra dans le taxi. La femme au regard foncé et aux yeux légèrement en amande, disparue alors, mystérieuse et presque irréelle.
Je passai le reste dans la soirée à me demander si nous allions nous revoir. Sa présence m'avait perturbé comme ci nous étions connectés. Ses yeux me ramenaient à des années en arrière sans trop savoir pourquoi.

19 heures, le lendemain. L’après-midi avait été calme et le ciel d’un bleu éclatant. Le jardin des Tuileries avait retrouvé le rire des enfants et le va et viens des touristes, flânant entre les statues et les célèbres chaises vertes abandonnées de toute part. Je sortis de la boutique pour tirer le rideau de fer lorsque je la vis. Elle se tenait là, devant moi. Ses yeux en amande étaient soulignés d’un trait noir et ses lèvres colorées d’un rouge discret. Elle avait de longs cheveux bruns, une silhouette fine que je pouvais deviner sous son manteau et les chaussures plates qu’elle portait faisaient de moi un homme plus grand. Je la redécouvrais sous un autre jour, encore plus belle que la veille, avec une élégance naturelle et toujours autant de mystère sur ce magnétisme.
 « Bonjour », finit-elle par me dire. Je lui répondis le cœur au bord des lèvres et comme happé par une puissance invisible, je m’approchai d’elle et déposai un baiser sur sa bouche. Elle me rendit ce baiser dans une fougue incontrôlée. Puis elle m’invita à la rejoindre dans son taxi qui l’attendait.

Elle me fit entrer dans sa chambre d’hôtel. Je m’avançai timidement au milieu de la pièce à la lumière tamisée. Le lit était impeccablement fait, sa valise était posée sur le petit sofa en velours prune. En me concentrant, je pouvais sentir les effluves de son parfum ; une combinaison de cerise noire, d’amande, de fruits rouges et de bergamote fraîche.
Elle me laissa seul lorsque soudain, je la vis sortir de la salle de bain, la chevelure brune liée grossièrement par une mèche de cheveux. Elle était parée uniquement d’une chemise blanche qui cachait de petits seins fermes. On pouvait deviner aisément à la vision de ses pointes qu’elle ne portait qu’un seul dessous.
Elle s’avança vers moi d’un pas décidé, pris ma tête entre ses mains et m’embrassa.

Le souffle court, à la fois impatient et réservé, je me détachai d’elle lentement. Des mois que je n’avais pas effleuré les courbes d’une femme, que je n’avais pas senti de peau sous mes lèvres. Les yeux plongés dans les miens, elle guida mes mains sur ses seins avant de terminer leur course, plus bas, à l’échancrure de sa lingerie. Mes doigts s’aventurèrent alors sous ses dentelles et se perdirent dans son antre.

L’aube fit son apparition après une nuit à faire l’amour, sans un mot, sans une question, juste quelques fous rires, du vin et de quoi de sustenter. Je jetai un coup d’œil dans le miroir de la salle de bain, mes traits étaient tirés par le manque de sommeil ce qui marquait soulignait un légèrement mes rides naissantes. Je passai mes doigts dans ma tignasse brune et ébouriffée par cette nuit mouvementée et enfouis ma tête dans le creux de mes mains. Je mis un certain temps à me glisser sous la douche ; je ne voulais pas me défaire de son parfum fruité imprégné sur ma peau.
De retour dans la chambre, j’écartai les doubles rideaux. Les rayons du soleil s’arrêtèrent sur la longue chevelure brune qui recouvrait entièrement son oreiller. De ma main, j’effleurai son dos nu, n’osant déranger son sommeil.
« Je ne connais même pas ton prénom », murmurais-je en souriant. Soudain, j’eus un mouvement de recul, sous mes doigts se trouvaient une ligne incurvée de sept petits grains de beauté. Les souvenirs affluèrent alors instantanément. La plage, le soleil, l’odeur des pins en été. J’avais 10 ans. Elle en avait 11.
« Ninon » !
Celle avec qui j’avais passé ma nuit à faire l’amour était celle que j’avais aimée en secret pendant tout un été. M’avait-elle reconnu ? Devais-je lui dire que j’ai mis plus de dix ans à tenter d’oublier la petite fille qu’elle était hier ? Qu’elle était il y a 30 ans. 



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Sur KOBO "Comme une évidence"

Cette nouvelle a été écrite en 2014 pour un concours organisé par AuFéminin.com 

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Tous ces écrits et photos sont le fruit d'un long travail, c'est pourquoi je vous demanderai de ne pas les copier ni de les diffuser sans mon accord préalable. 

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