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Accords parfaits

Dana Diamonds, chanteuse envoûtante à la voix suave et enivrante, pleure son amour perdu au rythme des drum brushes. Allan, un beau brun dont la peau claire sublime ses yeux noisette, est installé à une table, ne pensant qu'à une chose : la dominer, la sublimer, la posséder.   
Quand la sensualité rencontre l'érotisme...


Dans la pénombre, Allan attendait que Dana Diamonds apparaisse. Chaque soir, c’était le même rituel. Depuis son divorce, il avait pris l’habitude de se rendre deux fois par semaine dans cette salle à l’ambiance feutrée et intimiste. C’était l’un de ses amis lui avait conseillé de rencontrer des gens après sa séparation. Démarche qu’il avait toujours refusé d’entreprendre jusqu’à ce qu’il la voie sur l’affiche de la devanture du Club de Jazz. Une fois la porte franchie, son cœur n’avait cessé de battre pour cette créature sortie de nulle part. En quelques minutes, la jeune femme l’avait ensorcelé par sa prestance et sa sensualité. Ne pouvant se détacher de son emprise, ce rendez-vous était devenu comme une sorte d’addiction. Allan ne pouvait s’empêcher de venir l’écouter. Sa nonchalance jazzy et son timbre de voix suave, presque hypnotisant rendaient ces instants uniques. Il s’imaginait parfois qu’elle ne venait chanter que pour lui. Au fil du temps, il avait réussi à se faire attribuer une table, en bon habitué. Celle-ci était installée en contrebas de la scène, il pouvait ainsi profiter du spectacle sans être véritablement vu. Il se sentait en quelque sorte privilégié. Il commandait toujours deux whiskys secs que le serveur posait près d’une bougie allumée. Allan s’amusait à comparer la flamme dansante sur la cire blanche aux courbes de celle qui était devenue la plus belle femme à ses yeux.

Puis, elle arrivait enfin. Dana, tant attendue par l’assemblée, faisait son entrée d’un pas sûr. Ses escarpins claquaient sur le vieux parquet de la scène silencieuse au rythme d’un métronome lent et régulier. Elle s’installait ensuite sur une chaise haute en bois et croisait ses longues jambes habillées d’un bas de soie, dont le fin liseré imprimé au dos devait certainement s’arrêter à l’attache de ses jarretelles. La lanière en cuir de ses talons était minutieusement attachée au-dessus de ses chevilles. Quant à sa robe, noire, la plupart du temps, laissait deviner le galbe de ses seins qu’il imaginait fermes et blancs. Les projecteurs accentuaient la blondeur de ses cheveux légèrement ondulés qui couraient le long de son dos nu. En revanche, il n’avait jamais su de quelle couleur étaient ses yeux. Certainement d’un bleu profond ou d’un vert émeraude, à moins qu’ils ne soient sombres. Allan n’avait pas véritablement distingué son visage sur l’affiche plaquée devant la porte d’entrée du Club, et cela lui importait peu à vrai dire. Elle approchait ensuite ses lèvres, flirtant avec le micro et attendait que le bassiste joue les premières notes. Certains soirs, il n’était pas rare de la voir s’assoir au piano. Ses doigts caressaient lascivement les touches noires et blanches. Allan jalousait cet instrument, il aurait donné n’importe quoi pour être à sa place. Parfois, il avait l’impression que son regard se posait sur lui de façon insistante, alors Allan rougissait. Dans les secondes qui suivaient, il fermait les yeux et s’imaginait logé derrière ses formes, promenant ses mains sur ses hanches, le visage enfoui dans sa chevelure. De cette façon, il aurait ainsi pu respirer sa peau arrosée des effluves d’un parfum fruité et enivrant. Au lieu de cela, il se retrouvait seul dans son appartement sous les toits en zinc de Paris. Réputé pour être un quartier animé, l’ambiance qui y régnait habituellement n’arrivait pourtant pas à égayer ses soirées de solitude. Alors il prenait une douche et se couchait. Les yeux fermés, frustré, avec cette insatisfaction de ne pouvoir être avec elle, il ne pouvait s’empêcher de penser à cette femme. Il s’imaginait violer sa bouche, mordre ses lèvres rouge carmin et de ses mains enserrer légèrement son cou. L’idée de savourer sa peau fine et sucrée le rendait fou. L’envie de se frayer un chemin entre ses jambes et de titiller son bouton dardé avec sa langue le troublait encore plus. Il aurait donné n’importe quoi pour gouter à son arôme avant de pénétrer sa fente ruisselante et dans un rythme régulier, aurait dansé entre ses cuisses jusqu’à ce qu’il sente, monter dans le bas de ses reins, le liquide bouillant et salé prêt à jaillir de son sexe tumescent.
Allan sortit de son état de léthargie lorsqu’il entendit le public applaudir. L’esprit divaguant, il n’avait pas réalisé que Dana venait de finir son show. La scène jonchée de roses, elle remerciait, l’œil humide, un auditoire conquis. Son regard fit rapidement le tour de la salle et il s’aperçut que les spectateurs étaient tous debout. Se sentant comprimé dans ses vêtements, Allan ne put se lever, prisonnier de son envie troublante et obsédante. 

Dana Diamonds se produisait dans ce Club depuis quelques soirs. C’était un de ses agents qui lui avait parlé de cet endroit. À peine avait-elle franchi la porte de l’établissement qu’elle était tombée amoureuse de ce lieu. Tout était comme elle l’avait imaginé. Les tons rouges des fauteuils, les banquettes en velours, les tables rondes et lourdes semblant plantées dans le sol. La scène était en parquet massif et assez grande pour accueillir deux musiciens de part et d’autre du piano. Quelle aubaine, depuis le temps qu’elle voulait se produire à Paris. Il ne lui avait pas fallu plus de quatre représentations pour y voir venir certains habitués l’écouter. Cela l’amusait de voir le regard masculin se poser sur elle. Elle qui paraissait tellement inaccessible était pourtant un cœur à prendre. Elle avait souvent pensé qu’elle devait faire peur aux hommes. 

Dana pleurait son amour perdu au rythme des drum brushes percutant la caisse. Ses mélodies avaient le don de transporter les âmes blessées. De sa voix murmurée, elle caressait les corps immobiles qui ne demandaient qu’à être choyés et enlacés. Elle chantait la passion, la désillusion, la rupture, la tristesse, mais c’était dans ces textes-là qu’elle se retrouvait le plus. Certainement parce qu’elle savait de quoi elle parlait et pouvait transmettre toute sa douleur et son émotion à travers les mots. 
En général, une fois le spectacle terminé, elle disparaissait dans son grand châle. Le chauffeur la déposait ensuite dans son appartement où de temps à autre les notes de musique s’échappaient de son piano. Dans ces moments-là, la mélancolie envahissait peu à peu l’espace vide qu’elle avait dans son cœur. Depuis sa douloureuse rupture avec celui qui aurait dû quitter femme et enfant pour elle, certains avaient partagé son lit, mais jamais son cœur. Ses amies lui disaient de ne pas désespérer, que l’amour pouvait à tout moment surgir dans sa vie. Certes. Mais à l’aube de la quarantaine, que pouvait-elle attendre des hommes ? 

Le temps passait, les jours se ressemblaient et le vide affectif se creusait de plus en plus en elle. Jusqu’au jour où elle l’aperçut, légèrement caché dans la pénombre. Elle n’arrivait pas à distinguer véritablement son visage, mais devinait qu’il était assez bel homme. Un soir, elle prit l’initiative de s’approcher de lui et se dirigea dans la salle, micro à la main. Elle contourna son siège, effleura ses épaules et remonta sur scène, le cœur comme partiellement émietté. Elle put ainsi constater qu’Allan était un beau brun dont la peau claire sublimait ses yeux noisette. Ce soir-là, elle tomba sous le charme. 
La nuit venue, une fois chez elle et comme à son habitude, Dana faisait le point sur sa prestation. D’une nature exigeante, elle s’obligeait à se remettre toujours en question, mais pas ce soir-là. Ses pensées divaguèrent sans qu’elle ne puisse prendre véritablement le contrôle et c’est ainsi que le bel inconnu fit irruption dans le silence de la nuit. Troublée, elle secoua la tête pour tenter de l’empêcher de pénétrer son esprit, en vain. Se laissant dominer, elle s’allongea dans ses draps de soie, fit courir ses doigts tremblants, effleurant la pointe de ses seins lourds qui dardaient de plus belle jusqu’à l’échancrure de sa lingerie trempée puis fouilla en elle jusqu’à l’ivresse. Repue par ses caresses, elle réussit à s’endormir quelques instants plus tard honteusement imbibée de son fluide. 

A chaque prestation, à la nuit tombée, Dana chantait secrètement pour Allan et ce dernier s’abandonnait délicieusement, séduit par sa voix langoureuse qui résonnait dans sa tête comme un appel à la sensualité. Enfin un soir, il prit son courage à deux mains. Il l’attendit à la sortie du Club qui donnait dans une courette pavée de grosses pierres, à quelques mètres de la porte principale. Elle avait été surprise de le voir planté devant elle. Éclairé par le seul lampadaire extérieur, elle avait pu ainsi se rendre compte qu’il était plus grand qu’il lui avait semblé. Un peu plus âgé qu’elle, de larges rides d’expression sillonnaient son front et lorsqu’il plissait ses yeux, des pattes-d’oie se démarquaient nettement sur son visage. Elle planta son regard d’un vert éclatant dans les prunelles pétillantes d’Allan. « Enfin, je vous vois autrement qu’assis à cette table. J’espère que cette soirée a été agréable pour vous », lui avait-elle lancé de sa voix chaude aux accents new-yorkais. Allan avait été pris de court et n’avait su quoi dire. Au moment où il avait voulu acquiescer, elle s’était déjà volatilisée dans la berline qui l’attendait sur le trottoir d’en face. Il avait toujours regretté de ne pas lui avoir répondu ce soir-là. 

Après cette furtive, mais enivrante entrevue, Dana avait su par un des serveurs du Club que son mystérieux spectateur était divorcé depuis moins d’un an et qu’il vivait non loin de la Place Saint-Germain des Prés, à deux pas d’où elle chantait. 
Les soirs passèrent ainsi et les regards échangés pendant les longues mélodies de Dana devenaient de plus en plus intenses et pressants à l’égard d’Allan. Leurs deux corps exultaient de désir tant et si bien qu’un soir, Dana l’invita à la rejoindre dans sa loge. C’était par un billet doux glissé et avec l’aide du barman qu’elle lui avait fait passer le message.  
Décontenancé, Allan avait voulu dans un premier temps refuser l’invitation, mais se ravisa. Après tout, que risquait-il ? De partager un bon moment avec une femme qu’il désirait depuis des semaines. Il était ridicule de décliner ce rendez-vous. Hésitant toutefois, il resta quelques instants devant la porte close avant de frapper. Au deuxième coup, elle s’ouvrit enfin. Dana se tenait droite face à lui, la tête haute, le regard sûr. Elle s’écarta pour le laisser passer. Ses narines furent immédiatement chatouillées par le musc poivré qui s’échappait de sa nuque. Une bouteille de Ruinart dans les mains, elle expulsa le bouchon entre ses doigts avant de verser une pluie d’étoiles filantes aux reflets or dans deux flutes posées sur la coiffeuse. La robe brillante et limpide bouillonna, laissant exploser les bulles à l’intérieur jusqu’à ce que ce forme une collerette de perles fines contre la paroi du verre, puis elle l’invita à prendre place dans le fauteuil le temps d’un instant et disparut dans l’arrière-salle, en balançant sensuellement ses hanches. Le cœur d’Allan s’emballa ne sachant de quelle façon battre, il le sentait s’affoler et la seconde d’après s’arrêter subitement. La loge dans laquelle il se trouvait était habillée de velours prune. Le sol était recouvert d’un vieux parquet soigneusement ciré. De grosses bougies rondes étaient allumées et la lumière tamisée adoucissait la pièce. Des bouquets de roses rouges trônaient fièrement dans des vases en cristal. De petits mots d’encouragement et de sympathies étaient étalés sur la console. Allan ne pouvait certifier s’ils avaient été écrits d’une main masculine. Ce qui était certain, c’était qu’elle était aimée et appréciée. 
Après quelques minutes de flottement, elle réapparut dans un ensemble de soie. Ses pointes se dressèrent lorsqu’il tressaillit. Elle s’approcha de lui en tendant la main. Allan se leva lentement et fut pris d’un vertige. Était-il dû au champagne ou à l’émotion ? Qu’importe, devant lui se tenait celle qui accompagnait ses fantasmes les plus inavouables. Pourrait-il lui dire un jour qu’il ne passait pas une journée sans penser à elle. Pour l’heure, il n’avait qu’une envie : la dominer, la sublimer, la posséder, mais il resta figé devant son corps. À quelques millimètres de son visage, il pouvait sentir son souffle chaud s’écraser contre sa peau. Son parfum fruité emplissait la pièce. Il ne pouvait détacher son regard du sien. Elle prit la flute qu’elle porta à sa bouche et but une dernière gorgée. Les perles cristallines explosèrent contre son palais. L’attente de lâcher enfin ses ardeurs devenait insoutenable jusqu’au moment où Dana posa enfin ses lèvres contre celle d’Allan. Elles avaient le goût de brugnons mûrs et sucrés. Leurs langues aux notes épicées se frôlèrent timidement jusqu’à ce qu’elles se chevauchent et s’entrechoquent. Leurs doigts s’emmêlèrent dans la chevelure de l’autre. L’ambiance torride qui régnait dans la loge enveloppait leurs corps. L’envie de glisser sa main sous son déshabillé devenait obsessionnelle. Sa poitrine se souleva au rythme de son excitation qu’il avait de plus en plus de mal à contrôler. Il n’attendait d’elle qu’un geste, qu’un murmure, qu’un ordre pour agir. « Je vous attends depuis tellement longtemps », susurra la voix douce de Dana dans son oreille, « faites ce que vous auriez dû faire depuis des semaines ». Et dans un élan, Allan mordit ses lèvres roses, l’adossa contre la porte et plaqua son corps contre le sien. Elle sentit soudainement l’excitation de l’homme qui se tenait contre elle. Elle défit un par un les boutons de sa chemise qu’elle ôta lentement et le bouclier de sa ceinture subit le même sort. Elle savait qu’elle devait libérer cette envie compressée sous son pantalon et fit jaillir ce membre dressé qu’elle emprisonna goulument entre sa langue et son palais. Il ferma les yeux et rejeta sa tête en arrière savourant ce délicieux moment. Suffoquant, il n’osait exprimer le moindre gémissement de peur qu’elle cesse tout mouvement. Il se sentait partir. Puis elle remonta les yeux plongés dans les siens et l’embrassa à perdre haleine. Subjugué, Allan frôla sa langue imprégnée de sa vertu tandis que ses mains dénouèrent le déshabillé de Dana qui se retrouva offerte devant lui. Il recula d’un pas pour admirer cette femme sublime qui dans un moment de lucidité tenta de cacher son intimité. Elle était comme dans ses rêves. Belle, obsédante, enivrante, désirable. Il s’approcha à nouveau d’elle et parcourut son corps de baisers jusqu’au creux de ses cuisses pour s’attarder sur son sexe humide. Il joua avec son clitoris quelques secondes avant de la pénétrer plus profondément de sa langue rose et charnue. Les yeux mi-clos, elle le supplia d’arrêter cette délectation, de peur d’atteindre trop vite l’extase. Il se releva repu, les lèvres humides et l’embrassa à pleine bouche avant de la soulever et de l’installer sur son érection jusqu’à la garde, mais ne put contrôler son désir plus longtemps. Encouragé par les gémissements de Dana, il l’honora dans un rythme effréné jusqu’à sentir la sève monter peu à peu en lui, puis dans un dernier souffle et un ultime coup de reins, il se déversa en elle lâchant un râle puissant. Epuisé, il se libéra de son emprise et enfouit son visage dans le creux de son cou. 
Ce soir-là, ils se donnèrent l’un à l’autre sans se soucier du lendemain. 
Les heures passèrent. Longues. Interminables. 
L’envie de revoir Dana sur scène était devenue presque obsessionnelle et c’est avec une étrange sensation qu’Allan prit place dans le fauteuil au lendemain de leurs ébats. Il était impatient et nerveux à l’idée de la revoir. Comment allait-elle réagir ? Irait-elle chanter près de lui ? Lui effleurerait-elle les épaules ? La salle s’obscurcit, le silence s’installa et le rideau se leva. Les secondes parurent interminables et des pas sur le parquet résonnèrent enfin, mais l’excitation fut de court instant. Son cœur se serra, son corps se figea. Ce n’était pas Dana qui se tenait devant le micro, mais une autre femme. Elle était belle certes, mais elle n’était pas Dana. Il se redressa sur son fauteuil. La voix de cette femme arrivait comme un bruit sourd et lointain. Les mains moites, il se précipita hors du Club comme un fou sans attendre la fin de la première chanson et resta immobile devant l’affiche. Il reconnut immédiatement la chanteuse qu’il avait vue sur scène. Il alluma une cigarette lorsque le serveur sortit au même moment. Allan saisit cette opportunité et lui demanda pourquoi Dana Diamonds ne jouait pas ce soir-là. L’homme lui rappela que les concerts privés étaient étalés sur deux mois durant et termina son explication en lâchant les mots comme s’ils étaient évidents : Dana venait de quitter la France pour rejoindre New York. Cette information sonna dans sa tête comme une sentence.
Ébranlé par cette nouvelle, il remercia le serveur et rentra chez lui retrouver ses toits parisiens bien décidé à noyer sa mélancolie dans les eaux distillées de n’importe quel alcool fort, pourvu qu’il y trouve l’ivresse et l’oubli. 

Dana n’avait rien manqué de la scène. Logée à l’arrière de sa berline, elle n’avait eu qu’une envie, celle de bondir hors de la voiture et de courir vers lui. En se quittant après leur entrevue torride, ils n’avaient pratiquement échangé aucun mot. Lui était parti en déposant un long baiser près de ses lèvres. Quant à elle, après le départ d’Allan, était restée debout contre la porte, les bras blottis contre sa poitrine chaude, rêveuse et amoureuse. Si elle avait pu, elle aurait gardé son odeur tatouée sur sa peau un peu plus longtemps. Elle ignorait si Allan allait revenir au Club en sachant qu’elle n’y chanterait plus. C’était pour cette raison qu’elle avait décalé son voyage ; elle voulait le revoir une dernière fois et lui dire qu’elle n’avait cessé de penser à lui. Le voyant sortir en plein milieu du concert, l’air ahuri, elle n’osa comprendre. Avait-il oublié qu’elle ne viendrait plus ? Était-ce pour cette raison qu’il avait quitté la salle précipitamment ? Avait-elle bien fait de revenir sur ses pas ? 
Elle ordonna au chauffeur de le suivre, ce qu’il fit sans poser de questions. Arrivée à sa hauteur, la berline klaxonna brièvement. Allan se retourna et vit que la vitre arrière se baissait de façon mécanique sans toutefois n’y voir personne apparaître. Les trottoirs étaient déserts, le vent s’était levé, cinglant son visage. Pour Allan, la soirée tournait au cauchemar, quant à la voiture, toujours arrêtée en plein milieu de la rue, n’avait pas bougé d’un millimètre. Ne se sentant pas concerné, il continua sa route sans se retourner.
À quoi bon… elle était partie. 

De son côté, lorsque Dana vit Allan s’en aller d’un pas déterminé, elle ne put s’empêcher de repenser à ces dernières heures. Que faisait-elle ici ? Son avenir était scellé pour trois ans minimum puisqu’elle avait signé un gros contrat à New York, le revoir aurait été inutile, voire douloureux pour elle. Commencer une histoire d’amour avec un homme qu’elle ne verrait que quelques heures par semaines ou par mois.
À quoi bon… elle devait partir. 

Après cette nuit-là, les saisons se succédèrent inlassablement, tantôt verdoyantes et lumineuses tantôt mornes et grisonnantes. Les femmes qu’Allan fréquentait ne le satisfaisaient jamais. Elles étaient belles et attirantes, mais aucune n’avait la saveur et le pétillant de Dana. Il aurait été facile pour lui de retrouver sa trace, mais il n’avait jamais osé aller plus loin que sa pensée. De peur d’être déçu ou tout simplement rejeté. 
Allan évitait de passer devant le Club de Jazz qu’il avait fréquenté pendant des semaines, mais sa volonté l’abandonnant rapidement, il se retrouvait toujours devant, comme happé par une force mystérieuse. Parfois, il pensait apercevoir la silhouette de Dana au loin, mais hélas pour lui, elle n’était qu’ombre ou illusion. Les années défilant, il s’était résigné à tirer définitivement un trait sur cette femme jusqu’au jour où elle refit surface, sur l’affiche de la devanture du Club. Il n’osait le croire. Il allait enfin la revoir, après tout ce temps. 

L’homme qui était installé au piano était un être imposant aux grosses moustaches et aux cheveux grisonnants. Allan ne l’avait encore jamais vu jusqu’à présent. Lorsque le pianiste positionna ses mains au-dessus du clavier, Allan cessa de respirer. Soudain, au centre de la scène, la lumière éclaira enfin un visage. Son visage. Celui de Dana. Malgré toutes les années passées, elle n’avait pas changé. Elle était toujours aussi belle et désirable. Il avait lu dans la presse qu’elle avait été ébranlée par son récent divorce. Elle vivait désormais seule avec sa fille de cinq ans qu’elle avait eue avec le directeur artistique de la tournée.  
Comme elle le faisait quelques années auparavant, Dana s’installa sur une chaise de bar, s’approcha du micro, mais demeura silencieuse, laissant le piano continuer son monologue. La salle, dans l’incompréhension la plus totale, resta suspendue à ses lèvres. Les battements de son cœur résonnèrent dans ses tempes. Il était revenu. L’homme qu’elle n’avait jamais cessé de désirer était attablé face à la scène, un whisky sec posé devant une flamme comme à l’époque de leur rencontre. Une fois le divorce prononcé, Dana n’avait eu qu’une seule obsession, celle de revenir chanter dans le Club parisien qui lui rappelait tant celui qui l’avait aimée l’espace d’un instant. Elle se leva, serra le micro planté dans le sol et déglutit avant de se lancer : « J’aimerai chanter pour celui que je n’ai jamais pu oublier » et son accent new yorkais se fondit dès qu’elle fredonna les premiers mots. Ce soir-là, Dana assura le show sans jamais le quitter des yeux. 
Le spectacle terminé, Allan se précipita devant la loge de Dana. Cette fois-ci, il ne voulait pas la laisser partir comme des années auparavant. Il irait lui parler et lui dire qu’elle a hanté ses nuits. Qu’elle a fait partie de sa vie. Qu’il a souffert lorsqu’elle a quitté le pays. Qu’il en a passé des soirs, seul avec sa douleur et des tonnes de papier froissés dans ses mains. Il en avait usé de l’encre mais jamais il n’avait eu le courage d’envoyer la moindre lettre. 
Il se ravisa. Partir et ne plus jamais la revoir à nouveau ? Et si demain, elle prenait le premier avion ? La chance ne la mettrait peut être plus sur son chemin. Il secoua la tête. C’était ridicule, sinon pourquoi serait-elle revenue chanter ici ? Et si elle n’avait pas eu le choix justement. Le contrat a certainement dû être négocié avec son manager. Cela se passe comme ça dans ce milieu. Business is business et la starlette n’a rien à dire.
La tête au bord de l’explosion, le sang circulant dans ses veines tel un raz de marée, il serra le bouquet de roses blanches qu’il tenait entre ses mains. 

Dana reposa délicatement son verre sur le guéridon et écrasa sa cigarette dans le cendrier qui se trouvait sur ce même meuble. Elle ne s’était toujours pas remise de sa prestation. Qu’était-il venu faire ici ? Est-ce le fruit du hasard ou était-il venu parce qu’elle chantait ? Lorsque que son nouveau manager lui avait proposé de terminer sa tournée européenne à Paris, elle avait fait des pieds et des mains pour finir son show dans cette salle. Il avait fini par accepter, sans attendre en retour de sa part de raisons particulières.
Elle n’avait pas quitté Allan des yeux de toute la soirée. Les mains tremblantes, la voix cassée par l’émotion, elle avait chanté malgré tout comme jamais elle ne l’avait fait de toute sa carrière. Elle s’était donné à lui entièrement deux heures durant, mais au moment de quitter la scène après un dernier salut, il avait disparu, la laissant en compagnie d’une foule définitivement séduite.
Elle ôta ses escarpins et essuya une larme. Que croyait-elle ? Qu’il l’avait attendue pendant toutes ses années. Il avait sûrement dû refaire sa vie et sa femme devait l’attendre dans leurs draps imprégnés de son parfum, prête à lui faire l’amour avec ardeur. 
Elle ôta sa robe noire et détacha ses jarretelles qu’elle fit glisser les bas le long de ses jambes. Une fois dénudée, elle se jeta sous le jet brulant de la douche espérant noyer sa mélancolie, puis au bout de quelques minutes, sortit parée d’un peignoir de soie.

Un homme se tenait dans la pénombre, un bouquet de roses blanches à la main. En une fraction seconde, elle reconnut le parfum qui émanait de sa peau blanche. Elle s’avança lentement, le cœur logé dans ses entrailles. « Allan ? », susurra-t-elle. Il répondit en balbutiant qu’un homme lui avait ouvert la porte pensant qu’il était livreur. Elle s’approcha d’un peu plus près et vu dans ses yeux qu’il était venu pour la voir elle et non pour l’écouter simplement chanter. Elle sourit, lui aussi. Elle n’osait y croire. Il se tenait devant elle, gauche et impatient. Elle s’approcha de lui, prit le bouquet qu’il lui tendait, le déposa sur son fauteuil et l’observa silencieusement. Ses yeux noisette, sa bouche, sa peau blanche, le cheveu un petit plus grisonnant. Il était aussi beau que dans ses souvenirs. Elle lui tendit la main qu’il serra contre sa poitrine. Les battements de son cœur résonnèrent sous la pulpe de ses doigts fébriles. 

Seul le silence régnait en maître de lieux. Les yeux inondés de désir, Allan attira Dana contre lui et l’encercla de tout son être. La tête posée sur ses épaules, elle ne put s’empêcher de verser une larme.
Dans quelques heures, elle lui annoncerait qu’elle avait pris la décision de venir vivre définitivement à Paris.   
Dans quelques heures, il lui annoncerait qu’il avait tout mis en œuvre pour s’installer à New York à ses côtés. 

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Tous ces écrits et photos sont le fruit d'un long travail, c'est pourquoi je vous demanderai de ne pas les copier ni de les diffuser sans mon accord préalable. 


















2 commentaires :

  1. Voilà un style que je n'arrive pas à écrire. C'est très bien ficelé. Bravo à toi

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    1. Merci beaucoup Hervé ! Je suis très touchée.
      A bientôt,
      Sonia

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